jeudi 18 septembre 2014

HISTOIRE DE L'ANCIEN COL DE LA CAYOLLE

Le 30 juillet 2014, j'ai atteint avec mon vélo l'Ancien Col de la Cayolle. J'ai raconté l'aspect sportif de cette petite aventure dans un précédent article : Cols de Vars et de la Cayolle.

Le présent article aborde ce col sous d'autres angles : historique, géographique, touristique…


Un col abandonné

Il y a des cols qu'on franchit par hasard, sans le vouloir, sans même le savoir parfois. Ils peuvent être tout petits ou très grands, faciles ou très ardus. Ils sont là, sur votre route… mais ne sont signalés par aucun panneau. Seule la consultation de certaines cartes ou des catalogues du Club des Cent Cols permet de savoir qu'on les a franchis.

L'Ancien Col de la Cayolle n'est pas de ceux-là car il est impossible de l'atteindre avec un vélo sans le faire exprès! Il faut déjà savoir qu'il existe. Et aller le chercher!

Pourquoi? Parce qu'il n'est pas sur la route, il n'est pas non plus sur une piste, ni même sur un sentier! Ou plus exactement, il n'est PLUS sur un sentier. L'Ancien Col de la Cayolle a été abandonné il y a fort longtemps, au début du XXe siècle vraisemblablement.

Cols de la Cayolle : l'ancien et le nouveau

Route de la Cayolle

C'est en 1894 qu'a été prise la décision de passer par le Col de la Cayolle pour assurer la liaison routière entre Nice et la vallée de l'Ubaye. A l'époque, et depuis plus d'un siècle, le passage entre la haute vallée du Var et la vallée de l'Ubaye se faisait par un sentier muletier.

Le tronçon sud de la route, entre Entraunes et le col, a été réalisé entre 1907 et 1914, à l'initiative des autorités locales.

L'inauguration de cette route, prévue il y a 100 ans, le 10 août 1914, en présence du Président de la République, a malheureusement dû être annulée. Et pour cause! La France venait d'entrer en guerre une semaine plus tôt, le 3 août.

L'inauguration de la route de la Cayolle, prévue le 10 août 1914, a dû être annulée pour cause de guerre mondiale… (photo Internet)

Je n'ai pas trouvé de dates précises concernant la construction du tronçon nord, entre Barcelonnette et le Col de la Cayolle, par les gorges du Bachelard. Je sais juste que le Touring Club de France, qui cherchait à développer le tourisme cycliste puis automobile, y a participé, et qu'en 1911, la route n'était pas encore ouverte.

Après que la première Guerre Mondiale ait retardé la finalisation de ce projet (comme de bien d'autres), ce n'est qu'en 1920 que la route a officiellement été classée "route nationale", sous le n° 202.

Panneau du Col de la Cayolle, en 1948 (photo Internet)

➜ Plus de détails : Col de la Cayolle sur Wikipédia

A noter que, dès 1900, la construction de la route de la Cayolle s'insérait dans un projet plus global de Route des Alpes (devenue Route des Grandes Alpes en 1950). L'intérêt de ces liaisons routières était certes stratégique, mais déjà pointait la dimension touristique, y compris à vélo!

Pour quelle raison la route actuelle a-t-elle été tracée à environ 300 m à l'ouest de l'Ancien Col de la Cayolle?

Tout d'abord, il est bon de préciser qu'il ne s'agit pas du même col géographique mais de deux cols différents séparés par une éminence qui dépasse d'assez peu l'altitude des deux cols.

En ce qui concerne la modification du tracé, je n'ai pas trouvé l'explication officielle. Souvent, il s'agit d'une question pratique en vue d'améliorer le profil de la route par rapport au sentier muletier : obtenir une courbe plus douce ou une pente moins forte. On peut aussi préférer contourner une zone qui aurait nécessité, pour élargir le passage, des travaux plus conséquents (rochers gênants, par exemple)… Dans le cas qui nous intéresse, il est judicieux de remarquer que l'altitude du nouveau col (2326 m) est inférieure de 12 m à celle de l'ancien (2338 m), ce qui peut aussi être un excellent motif pour le choix d'un nouveau tracé. Bref, il peut y avoir plusieurs explications.


Comment trouver l'Ancien Col de la Cayolle?

Naturellement, il faut d'abord commencer par se rendre au Col de la Cayolle, dans sa version actuelle, ce qui demande une petite trentaine de kilomètres en venant de Barcelonnette (route nord) et un peu plus de 20 km à partir de Saint-Martin-d'Entraunes (route sud).

Col de la Cayolle (2326 m)

Ensuite, il n'y a plus qu'à se diriger vers l'est, à travers la prairie, dans une direction à peu près perpendiculaire à l'axe de la route. L'Ancien Col de la Cayolle est quelque part par là, à 300 m à vol d'oiseau du col actuel…

Prairie, entre le nouveau et l'ancien Col de la Cayolle

Sur la photo ci-dessous, l'Ancien Col de la Cayolle se situe au niveau du névé.

Vue de l'Ancien Col de la Cayolle

Un indice indubitable!

On ne peut pas se tromper : une borne frontière marque l'emplacement du col.  Sur la face sud de la borne figure une Croix de Savoie.

Face sud de la borne : la Croix de Savoie
Sur la face nord, la borne a conservé la fleur de lys, symbole de la monarchie française.

Face nord : la Fleur de Lys
Même si c'est un peu décevant pour les puristes, il faut savoir que la borne visible sur le site n'est qu'une copie, l'originale ayant été déplacée pour être conservée à Entraunes, à l'abri des dégradations dues à l'usure du temps.

Borne originale, à Entraunes (photo Internet, 2002)

Un second moulage en résine de la même borne a été implanté sur la place du village d'Entraunes dans le but de valoriser le patrimoine historique local.

Copie de la borne sur la place d'Entraunes
(photo Internet, 2009)

Pourquoi y a-t-il une borne frontière à cet endroit?

Aujourd'hui, le Col de la Cayolle se situe à la limite entre deux départements français : les Alpes de Haute-Provence au nord et des Alpes Maritimes au sud. Mais il fut un temps où ce col marquait la frontière entre deux royaumes.

D'après les informations figurant sur le site Bornes frontières (d'où sont extraites les deux photos ci-dessus), un procès verbal dressé en 1761 fait état d'une borne portant le n° 9 et érigée à cet endroit dès 1718, sous la régence. « Laquelle n'étant point solide, nous l'avons fait rassurer », révèle ce document.

L'établissement d'une frontière au Col de la Cayolle résultait de deux traités. Le premier, le traité d'Utrecht (en 1713), détachait la vallée de l'Ubaye du Comté de Nice, et donc de la Savoie, en faveur du royaume de France. Par le second, le traité de Paris (en 1718), le régent Philippe d'Orléans cédait Entraunes et Saint-Martin-d'Entraunes à Victor-Amédée II, roi de Sicile et duc de Savoie. La pose d'une borne frontière en 1718 matérialisa donc ces accords.

La borne, telle qu'elle se présente aujourd'hui, porte gravés les millésimes "1761" (règne de Louis XV) ainsi que "1823" (règne de Louis XVIII). Voici pourquoi…

En 1760, sont signés deux nouveaux traités (Turin puis Paris), qui débouchent sur une rectification de frontière. Ça ne change rien pour le Col de la Cayolle, dont la borne est cependant vérifiée et consolidée en 1761, année qui se trouve alors gravée dans le grès.

De 1793 à 1814, le col n'est plus sur la frontière, les Alpes Maritimes étant devenues provisoirement le 85e département français.

Ce n'est qu'en 1823, huit ans après la restitution du Comté de Nice au Royaume de Sardaigne, que sont entreprises les vérifications et les restaurations des bornes frontières de tout le secteur. Une seconde Croix de Savoie est dessinée par dessus l'ancienne et le millésime "1823" gravé sur la borne.

En 1860, le Comté de Nice est concédé par le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel II de Savoie, suite à un accord avec l'empereur Napoléon III, et il est de nouveau rattaché à la France. La borne frontière n'est cependant pas retirée, bien qu'elle n'ait plus de raison d'être.

Ancien Col de la Cayolle, juillet 2014

Un témoignage du passé

Même si le tracé de la route au début du XXe siècle a éloigné le promeneur et le voyageur du col initial, même si le souci de la conservation du patrimoine historique, au début du XXIe siècle, a conduit à la mise à l'abri de la borne originale, il reste aujourd'hui à l'emplacement historique du Col de la Cayolle un témoignage de ce passé, qu'il est toujours séduisant de découvrir (ou redécouvrir) au détour d'une prairie alpine, et au royaume… des marmottes!…

Claude
Photos personnelles (juillet 2014), sauf mention contraire

BONUS :


➜ Inventaire de tous mes articles sur le thème : Vélo et culture

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